J’ai grandi à Ahuntsic. J’ai mangé des lahmajoun comme lunch qui venait d’un petit dépanneur proche de mon école.
Des spaghetti offerts à un prix ridicule comme 1 $ par l’église pas loin de l’école où tu devais faire ta vaisselle après avoir mangé.
Du rollerblade avec des amies dans les petites rues, la natation durant les journées les plus chaudes et ensoleillées de l’été au Centre Claude Robillard avec le bon burger que je mangeais à la cafétéria du centre sportif avec une bouteille de Snapple qui suait.
Les blagues, les conversations, les chicanes et les cris, les devoirs, les pleurs, expliquer comment prononcer mon nom chaque fois que je rencontre quelqu’un — mes souvenirs sont comme ceux des autres — tout en français et tout à fait normaux.
Je travaille dans des petits cafés au centre-ville quelques années en grandissant. Je vois les changements sur la rue Sainte-Catherine. Des marques américaines débarquent en force — « Victoria’s Secret achète La Vie en Rose ! » « Chapters est devenu américain aussi ! ». Je suis choquée, « même Couche-Tard ? Wow. »
Je dis Bonjour 90 % du temps. Je dis Bonjour-Hi quand je vois des gros groupes de touristes. Oups, je ne savais pas que ça allait faire de moi un problème.
Je vais à un party avec un groupe d’amies. On a du fun. La prochaine fois que mes amies et moi croisons les gens du party, un d’eux dit « The Asian girl ». Ouaip, c’est moi —allô, the Asian girl here!
Je vis une crise identitaire. Je suis tannée qu’on me demande si je parle chinois et que les hommes me disent « ni hao » ou « konnichiwa » au lieu de me dire « bonjour ». Même « bonjour-hi » me donnera moins l’impression d’être une étrangère dans ma propre ville.
Je vais vivre à Busan pour enseigner l’anglais. C’est la première fois que je prends le métro, et que tout le monde a à peu près la même couleur de cheveux que moi. Je ne suis plus « l’Asiatique ». Je suis madame tout le monde ! Hourra !
Beaucoup d’amour pour Busan et la Corée. L’océan et la plage gwangalli de Busan feront partie de moi. Les promenades en bicyclette cruiser au bord de l’océan avec une bière dans les mains et des pétards dans l’autre, en déchiquetant avec mes dents des galettes de poisson séchées sur la plage vont faire partie de la soupe-mémoire de Noeul à jamais.
Mais ça ne dure pas. Mon accent Coreen est un peu Québécois. Ma posture, ma façon de m’habiller, mais surtout, mes points de références sont différents des gens qui m’entourent. Personne ne connaît le Centre Claude Robillard ici, ni les lahmajoun. Ils ne mettent pas de coriandre dans le pho — outrageant! Avec beaucoup d’amour, je quitte pour revenir dans ma ville.
Centre-ville. J’entends dans un Dollarama un message de la Société de Saint-Jean-Baptiste qui dit avec une voix grave, ton apocalyptique que les gens qui parlent français langue maternelle baisse chaque année et que c’est très grave…
Je m’en vais en ligne et je regarde les statistiques officielles. Cette société ne compte pas en tant que francophone les gens qui ne choisissent pas le « français » comme langue maternelle.
Mais… je suis francophone ? Mon pho, je le commande en français ? Si vous ne me comptez pas comme francophone, est-ce que je peux quand même être francophone ? La réponse, je crois, est oui. N’ayez pas peur de moi, s’il vous plaît.
Je suis Noeul, et c’est tout. Ne me demandez plus des questions niaiseuses comme « Tu te sens-tu Québécois ? Ou Coréen ? Moitié-moitié ? » C’est pas vraiment possible de me diviser comme une tarte, voyons donc.
En dessous d’un microscope, je suis fans de lahmajoun, de pho, spag de l’église à 1 $, rue Tanguay, crise identitaire, anciennement ado, une gourmande, busan, la plage, le canal Lachine, rue Saint-Ferdinand, montréalaise, une bénévole, sirop d’érable on EVERYTHING, en manque de vacances perpétuelles, désireuse d’une semaine de travail de 4 jours, femme, amatrice de kimchi, anxieuse, québécoise.
Puis je suis vraiment poche en mathématiques.
Collaboration:
JE SUIS MTL x JÉ T'AIMEParticipant:
NoeulDate:
June 26, 2021